Foutez vous la paix! (Fabrice Midal)

Il y a quelques temps, j ’ai écouté une des conférences que Fabrice Midal a tenu début 2017, à l’occasion de la sortie son livre « Foutez-vous la paix ». Elle dure environ 1h. Si vous n’avez pas tout ce temps devant vous, je vous invite à en écouter, ne serait-ce que les 12 premières minutes.
Cela est venu confirmer ce que je mets en application dans ma pratique de coache. En lien direct avec ma pratique de la méditation et de l’approche narrative.
En entreprise, je suis souvent sollicitée par des personnes qui souhaitent ouvrir de nouveaux possibles dans leur vie professionnelle ou leur vie personnelle : affirmation de soi, leadership, prise de poste, reconversion, création d'entreprise.. ; ou encore qui me demandent de les accompagner dans la traversée de moments difficiles: gestion du stress, maladie, licenciement, retraite, burn out, etc..
En tant que praticienne narrative, je suis souvent témoin de la puissance des histoires que les personnes racontent sur elles-mêmes — des récits qui,
parfois, les enferment plus qu’ils ne les soutiennent.
Prendre conscience de ses drivers, peut être…. Mais pour quoi faire?

Et en effet, il existe de nombreux récits que nous accueillons volontiers comme des vérités à notre sujet, sans trop les questionner. La façon dont fonctionne l’ « effet Barnum» illustre bien comment certains discours, certaines étiquettes peuvent être confondus avec ce que serait notre vérité. Or ce biais cognitif nous pousse en fait à nous reconnaître dans toute description suffisamment générale, un peu floue, mais présentée comme personnelle.
Ce phénomène explique par exemple, pourquoi tant de personnes se sentent si bien décrites par leur horoscope — même s’il s’adresse à des milliers d’individus à la fois.
Je repense particulièrement à cela lorsqu’il est question des « drivers » qui désignent ces messages contraignants que nous avons souvent intériorisés tôt dans nos vies et qui sont souvent pris comme des «vérités » pour décrire nos comportements.
Quand on y regarde de près, il n’est pas bien difficile de retrouver une part de « sois parfait », de « fais plaisir » ou de « fais des efforts » dans les récits qu’à peu prés toutes les personnes tiennent sur elles-mêmes.
Or, en tant que coachs, si nous proposons ce type d’outil comme une vérité sur l’autre, nous risquons en fait de renforcer le piège en lui donnant un nouveau visage. Prenons quelques exemples :
- imaginons une personne qui identifie en elle le driver « fais des efforts ». Il est probable qu’elle décidera de... faire tous ses efforts pour arrêter de faire des efforts !
- Celle qui découvrera un « dépêche-toi » va peut-être s’appliquer à ralentir — mais en se pressant de le faire !
- Et que dire de celle ou celui qui porte le « fais plaisir » comme une armure : il ou elle se mettra à faire sans doute peu plus attention à elle , mais cela risque d’être …pour faire plaisir à son coach ou à son entourage.
- Enfin, les « sois parfait » ou les « sois fort » n’échapperont pas au piège : ils chercheront à lâcher prise… de manière parfaite, ou en se prouvant qu’ils sont les plus forts à le faire !
On peut en sourire, et pourtant, cela nous dit quelque chose de fondamental. Pousser quelqu’un à faire quelque chose, y compris à lâcher prise, c’est souvent le maintenir dans la logique même qu’il cherche à quitter : faire encore plus d’efforts… pour ne plus faire d’efforts. Une forme d’ « injonction paradoxale », où la personne se retrouve coincée entre deux attentes contradictoires. Or cette tension peut renforcer le sentiment d’impuissance, voire nuire à l’accompagnement, si nous ne prenons pas soin de nommer et de déconstruire cette logique.
Pourtant il m’arrive bien de proposer ce type de test à certains de mes clients. Mais lorsque je le fais, c’est pour l’usage que nous allons en faire ensemble et pas pour coller une étiquette.
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Cet exercice peut parfois devenir fécond lorsqu’il permet d’ouvrir un espace de curiosité,
de jeu. Ce n’est pas la valeur «objective » de l’exercice qui m’importe alors, mais la distance qu’il permet
d’introduire vis-à-vis de certains récits figés. En particulier chez les personnes qui peinent à développer un regard réflexif sur
leur propre histoire. Mais une fois ce premier pas franchi, il est ensuite essentiel de décoller l’étiquette du driver pour pouvoir sortir du piège qu’il contient.
Cela peut sembler étrange, dans un monde où l’on cherche toujours à être plus efficace, plus serein, plus heureux. Mais cette pratique minimaliste, presque subversive, est d’une puissance rare : juste se poser, et se dire « je me fous la paix ». Sans chercher à calmer l’esprit, sans tenter de méditer parfaitement, sans viser une transformation. Simplement habiter le moment, en paix.
Comme praticienne narrative, je suis convaincu que nous gagnerions souvent — et nos clients avec nous — à nous foutre la paix. Vraiment. À créer un espace dans lequel il devient possible de se réapproprier ses choix, de réécrire son histoire avec plus de liberté. Une paix choisie, lucide, débarrassée des récits contraignants qui ont fini par passer pour des évidences.
Revenir à soi, c’est peut-être d’abord cela : reconnaître les injonctions qui nous gouvernent, et décider, en conscience, de ne plus leur obéir aveuglément.
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